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8° dimanche du Temps Ordinaire

 

Frères et sœurs,

Les raisons de nous retrouver chaque dimanche sont multiples : déposer nos joies, nos peines, les sacrifices de nos vies au pied de la croix ; nous nourrir de la Parole et du corps du « sacré Fils », rendre grâce ; etc… Je ne vais pas toutes les citer, mais parmi elles figure sans doute la joie de rencontrer des proches avec qui nous partageons la foi. Nous vivons en effet dans un monde où croire ne va plus de soi, aussi, nous goûtons comme une joie la chance qui nous est donnée de nous retrouver dans la foi et de renouveler nos raisons de la vivre… en un mot de « communier ».

Pour autant, cet « état de grâce » que nous ressentons peut-être dans cette église lors de la messe, n’est pas consacré à être vécu exclusivement comme un « entre soi » au sein de notre communauté dominicale. Au contraire, il est destiné à être partagé le plus largement au fil de la semaine dans nos multiples milieux de vie où nous sommes appelés à exercer un vivre ensemble fraternel ; c’est précisément le sens de l’envoi « allons dans la paix du Christ… » auquel diacres ou prêtres nous sommes attachés à vous signifier à la fin de chaque célébration.

Oui mais voilà : si - j’espère ne pas me tromper - il y a véritablement de la joie à être ensemble, nous savons pour autant qu’il existe entre nous des différences, parfois profondes, qui peuvent conduire à des tensions et même des conflits au sein de notre vie relationnelle. Cela ne date pas d’aujourd’hui : dans la première communauté chrétienne, il y avait déjà des difficultés, comme le montre l’exigence rapportée par Luc dans le passage d’évangile de ce jour, qui porte sur la régulation des relations entre « frères » : «Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère :Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère !» (Luc 6,41-42).

Cette parole nous conduit donc à examiner à la fois notre vie personnelle et le fonctionnement de notre vie relationnelle comme chrétien ; elle nous ouvre à deux perspectives. La première nous invite à ne pas accabler de reproches ou de leçons de morale nos frères et nos sœurs. L’interdit posé par Jésus est clair : ne pas dénoncer et ne pas donner de leçons, et ainsi ne pas exclure. Cet interdit posé par Jésus est difficile à vivre parce que celui qui a une poutre dans l’œil est aveugle et ne voit plus rien. C’est pourquoi les leçons de morale de quelqu’un qui a une poutre dans l’œil s’apparentent à celles d’un aveugle qui veut guider les autres aveugles, comme le dit aujourd’hui Jésus : «Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?» (Luc 6,39).

La parole de Jésus a aussi une autre perspective. Elle nous demande de commencer par ce que l’on appelle aujourd’hui «un travail sur soi» : enlever ce qui m’empêche de voir clair. Ce travail commence par une disponibilité intérieure : écarter ce qui se déroule dans ma tête, comme un tourbillon perpétuel qui fait écran et m’empêche de voir la réalité. Ainsi pour vivre en amitié ou fraternité, il faut accueillir l’autre tel qu’il est : ne pas projeter sur ce qu’il dit mes propres opinions, mais l’écouter et ensuite prendre le temps de la réflexion en tenant à distance mes propres impatiences, voire mes colères. Car la parole adressée à autrui par celui qui se prétend parfait est souvent blessante et donc inadaptée pour aider à naître. Comme le dit Jésus aujourd’hui dans cette image : «On ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.» parce qu’un buisson d’épines ou un massif de ronces déchirent la fragilité de la peau, de même notre parole ne doit pas déchirer la délicatesse de l’âme qui s’ouvre à la lumière. La parole qui naît alors est une parole qui construit et ne détruit pas. Elle doit naître de la bonté du cœur. De cette bonté, Jésus nous dit aujourd’hui : «L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur.» (Luc 6,45).

Alors je vous propose de partir à la recherche du trésor…

Dans le premier texte, celui de Ben Sira le sage, nous avons entendu : « C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. On juge l’homme en le faisant parler. »

Ben Sira nous dit qu’au fond de l’homme, de la femme, de l’enfant, il y a une parole qui dit ce qui est vraiment important pour cette personne. C’est une parole qui exprime ce qui se passe à l’intérieur : ses émotions, ses espoirs, ses combats. C’est là que se trouve le trésor !

Ben Sira nous dit aussi qu’il est difficile d’entendre ces paroles mais que c’est par elles que nous connaissons vraiment qui est l’autre à mes côtés. C’est comme ça que se construit la fraternité universelle à laquelle nous sommes appelés.

Je vais vous partager un conte qui illustre ces paroles de la Bible :

Il était une fois, un vieil homme assis à l’entrée d’une ville du Moyen Orient. Un jeune homme s’approcha et lui demanda :

- « Je ne suis jamais venu ici, comment sont les gens qui vivent dans cette ville ? »

Le vieil homme lui répondit par une question :

- « Comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ? ».

- « Égoïstes et méchants... C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’étais bien content de partir » dit le jeune homme.

Et le vieillard de répondre :

- « Tu trouveras les mêmes gens ici ».

Un peu plus tard, un autre jeune homme s’approcha et lui posa exactement la même question.

- « Je viens d’arriver dans la région, comment sont les gens qui vivent dans cette ville ? ».

- « Dis-moi, mon garçon, comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ? ».

- « Ils étaient bons et accueillants, honnêtes, j’y avais de bons amis, j’ai eu beaucoup de mal à la quitter », répondit le jeune homme.

- « Tu trouveras les mêmes ici » répondit le vieil homme.

Un marchand qui faisait boire ses chameaux à côté avait entendu les deux conversations. Dès que le deuxième jeune homme s’éloigna, il s’adressa au vieillard sur un ton de reproche :

- « Comment peux-tu donner deux réponses complètement différentes à la même question posée par deux personnes ? ».

- « Mon fils, dit le vieil homme, celui qui ouvre son cœur change aussi son regard sur les autres. Chacun porte son univers dans son cœur ».

Oui frères et sœurs, par ses paroles imagées, Jésus nous invite à ne pas en rester là. C’est même plus qu’une invitation, c’est une obligation, je dirais même, c’est un commandement : « Tu écouteras ton prochain comme tu voudrais que l’on t’écoute. » ou encore « Écoutez-vous les uns les autres comme je vous ai écoutés. »

S’il y a de la joie à être ensemble dans la même célébration et dans le partage de la même foi, c’est parce que travaille en nous l’Esprit Saint qui fait de nous des Êtres au cœur empli de bonté : il nous fait à l’image de Dieu. Notre Dieu fait homme n’est pas venu dans la splendeur, dans l’éclat de la force, dans le prestige des grands, mais il est venu par un chemin d’humanité vraie : dans l’amour de tous, dans la disponibilité, dans l’attention, dans l’écoute. Il vient aujourd’hui dans notre communauté par le même chemin d’amitié et d’écoute, d’accueil et de partage. Jésus n’a pas envoyé les apôtres «convertir » les autres en redresseurs de torts, il les a envoyés simplement porter la Bonne Nouvelle du salut ; quand il parle aux foules ils ne leur dit pas « Allez corriger les autres », il leur dit « Convertissez vous ! »

Jésus nous invite aujourd’hui à ne pas tricher avec nous-mêmes, à ne pas tricher avec lui. Faire la vérité dans notre vie, est indispensable pour grandir, pour s’épanouir, pour trouver la paix intérieure, la paix avec les autres. C’est seulement dans l’amour que l’on peut accueillir l’autre comme il est et que l’on peut le guider lui aussi vers le bonheur. Nos « poutres » sont multiples, alors demandons au Seigneur la grâce de l’humour ! Comme le disait Joseph Folliet : «Bienheureux ceux qui savent se taire et écouter : ils en apprendront des choses nouvelles.» Oui, Dieu est aussi humour : qu’il nous donne de regarder et d’aimer les autres comme il est venu nous former à le faire afin que nous devenions, nous aussi, « comme le maître » !                     

Amen.

 

Patrick JAVANAUD, diacre permanent

2 mars 2025




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