Frères
et sœurs,
Les
raisons de nous retrouver
chaque dimanche sont
multiples : déposer nos
joies, nos
peines, les sacrifices de nos vies au pied de la croix ; nous
nourrir de la Parole et du corps
du « sacré Fils », rendre
grâce ; etc… Je ne vais pas toutes les citer, mais parmi
elles figure sans
doute la joie de rencontrer des
proches
avec qui nous partageons la foi. Nous vivons en effet dans un
monde où
croire ne va plus de soi, aussi, nous goûtons comme une joie la chance
qui nous
est donnée de nous retrouver dans la foi et de renouveler nos raisons de
la
vivre… en un mot de « communier ».
Pour
autant, cet
« état de grâce » que nous ressentons peut-être dans cette
église lors
de la messe, n’est pas consacré à être vécu exclusivement comme un
« entre
soi » au sein de notre communauté dominicale. Au contraire, il est
destiné à être partagé le
plus
largement au fil de la semaine dans nos multiples milieux de vie où
nous
sommes appelés à exercer un
vivre
ensemble fraternel ; c’est précisément le sens de l’envoi
« allons dans la paix du
Christ… »
auquel diacres ou prêtres nous sommes attachés à vous signifier à la fin
de
chaque célébration.
Oui
mais voilà : si
- j’espère ne pas me tromper - il y a véritablement de la joie à être ensemble, nous savons pour autant qu’il existe
entre nous des différences,
parfois
profondes, qui peuvent conduire à des
tensions et même des
conflits au
sein de notre vie relationnelle. Cela ne date pas d’aujourd’hui :
dans la
première communauté chrétienne, il y avait déjà des difficultés, comme
le
montre l’exigence rapportée par Luc dans le passage d’évangile de ce
jour, qui
porte sur la régulation des relations entre « frères » : «Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la
poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?
Comment
peux-tu dire à ton frère : ‘Frère,
laisse-moi
enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois
pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la
poutre de
ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans
l’œil de
ton frère !» (Luc
6,41-42).
Cette
parole nous conduit
donc à examiner à la fois notre
vie
personnelle et le fonctionnement de notre vie relationnelle comme chrétien ; elle nous ouvre à deux
perspectives. La première nous invite à ne pas accabler de reproches ou
de
leçons de morale nos frères et nos sœurs. L’interdit posé par Jésus est
clair : ne pas dénoncer et
ne pas
donner de leçons, et ainsi ne pas exclure. Cet interdit posé par
Jésus est
difficile à vivre parce que celui qui a une poutre dans l’œil est
aveugle et ne
voit plus rien. C’est pourquoi les leçons de morale de quelqu’un qui a
une
poutre dans l’œil s’apparentent à celles d’un aveugle qui veut guider
les
autres aveugles, comme le dit aujourd’hui Jésus : «Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber
tous les deux dans un trou ?» (Luc 6,39).
La
parole de Jésus a aussi
une autre perspective. Elle nous demande de commencer par ce que l’on
appelle
aujourd’hui «un travail sur soi» : enlever
ce
qui m’empêche de voir clair. Ce travail commence par une
disponibilité
intérieure : écarter ce qui se déroule dans ma tête, comme un tourbillon
perpétuel qui fait écran et m’empêche de voir la réalité. Ainsi pour
vivre en amitié ou fraternité, il faut
accueillir l’autre tel qu’il est : ne pas projeter sur ce qu’il
dit mes
propres opinions, mais l’écouter
et
ensuite prendre le temps de la réflexion en tenant à distance mes
propres
impatiences, voire mes colères. Car la parole adressée à autrui par
celui qui
se prétend parfait est souvent blessante et donc inadaptée pour aider
à naître. Comme le dit Jésus
aujourd’hui dans cette image : «On
ne
cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du
raisin
sur des ronces.» parce qu’un buisson d’épines ou un massif de
ronces
déchirent la fragilité de la peau, de même notre
parole
ne doit pas déchirer la délicatesse de l’âme qui s’ouvre à la lumière.
La parole qui naît alors est une
parole
qui construit et ne détruit pas. Elle
doit
naître de la bonté du cœur. De cette bonté, Jésus nous dit
aujourd’hui
: «L’homme bon tire le bien du
trésor de
son cœur.» (Luc 6,45).
Alors
je vous propose de
partir à la recherche du trésor…
Dans
le premier texte,
celui de Ben Sira le sage, nous avons entendu : « C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole
fait connaître les sentiments. On juge l’homme en le faisant parler.
»
Ben
Sira nous dit qu’au
fond de l’homme, de la femme, de l’enfant, il y a une parole qui dit ce qui est vraiment important pour cette personne.
C’est une parole qui exprime ce qui se passe à l’intérieur : ses
émotions, ses
espoirs, ses combats. C’est là que se trouve le trésor !
Ben
Sira nous dit aussi
qu’il est difficile d’entendre ces paroles mais que c’est par elles que
nous
connaissons vraiment qui est l’autre à mes côtés. C’est comme ça que se
construit la fraternité
universelle à
laquelle nous sommes appelés.
Je
vais vous partager un
conte qui illustre ces paroles de la Bible :
Il
était une fois, un
vieil homme assis à l’entrée d’une ville du Moyen Orient. Un jeune homme
s’approcha et lui demanda :
-
« Je ne suis jamais venu ici, comment sont les gens qui vivent dans cette
ville ? »
Le
vieil homme lui
répondit par une question :
-
« Comment étaient les gens dans la ville d’où tu viens ? ».
-
« Égoïstes et méchants... C’est d’ailleurs la raison pour laquelle
j’étais bien content de partir » dit le jeune homme.
Et
le vieillard de
répondre :
-
« Tu trouveras les mêmes gens ici ».
Un
peu plus tard, un
autre jeune homme s’approcha et lui posa exactement la même question.
-
« Je viens d’arriver dans la région, comment sont les gens qui vivent
dans cette ville ? ».
-
« Dis-moi, mon garçon, comment étaient les gens dans la ville d’où tu
viens ? ».
-
« Ils étaient bons et accueillants, honnêtes, j’y avais de bons amis,
j’ai eu beaucoup de mal à la quitter », répondit le jeune
homme.
-
« Tu trouveras les mêmes ici » répondit le vieil homme.
Un
marchand qui faisait
boire ses chameaux à côté avait entendu les deux conversations. Dès que
le
deuxième jeune homme s’éloigna, il s’adressa au vieillard sur un ton de
reproche :
-
« Comment peux-tu donner deux réponses complètement différentes à la même
question posée par deux personnes ? ».
-
« Mon fils, dit le vieil homme, celui qui ouvre son cœur change aussi son
regard sur les autres. Chacun porte son univers dans son cœur ».
Oui
frères
et sœurs, par ses
paroles imagées, Jésus nous invite à ne pas en rester là. C’est même
plus
qu’une invitation, c’est une obligation, je dirais même, c’est un
commandement
: « Tu écouteras ton prochain comme tu voudrais que l’on t’écoute. » ou
encore
« Écoutez-vous les uns les autres comme je vous ai écoutés. »
S’il
y a de la joie à
être ensemble dans la même célébration et dans le partage de la même
foi, c’est
parce que travaille en nous l’Esprit
Saint
qui fait de nous des Êtres au cœur empli de bonté : il nous
fait
à l’image de Dieu. Notre Dieu fait homme n’est pas venu dans la
splendeur, dans
l’éclat de la force, dans le prestige des grands, mais il est venu par un
chemin d’humanité vraie :
dans l’amour de tous, dans la
disponibilité, dans l’attention, dans l’écoute. Il vient
aujourd’hui dans
notre communauté par le même chemin d’amitié et d’écoute, d’accueil et
de
partage. Jésus n’a pas envoyé les apôtres «convertir » les autres en
redresseurs
de torts, il les a envoyés simplement porter la Bonne Nouvelle du salut ; quand il parle aux foules ils ne
leur dit pas « Allez corriger les autres », il leur dit « Convertissez vous ! »
Jésus
nous invite aujourd’hui
à ne pas tricher avec nous-mêmes, à ne pas tricher avec lui. Faire
la vérité dans notre vie, est
indispensable pour grandir, pour s’épanouir, pour trouver la paix intérieure, la paix avec les autres. C’est seulement dans
l’amour que l’on peut accueillir
l’autre comme il est et que
l’on peut le guider lui aussi
vers le
bonheur. Nos « poutres » sont multiples, alors demandons au
Seigneur la
grâce de l’humour ! Comme le disait Joseph Folliet : «Bienheureux ceux qui savent se taire et écouter : ils en apprendront
des choses nouvelles.» Oui, Dieu est aussi humour : qu’il nous
donne de
regarder et d’aimer les autres comme il est venu nous former à le
faire afin
que nous devenions, nous aussi, « comme
le
maître » !
Amen.
Patrick
JAVANAUD, diacre permanent
2
mars 2025