Année C
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Ne 8, 1-4a.5-6.8-10 ; Ps 18 ; 1Co 12, 12-30 ; Lc 1, 1-4; 4, 14-21
« Nul n’est prophète en son pays
» dit-on. Cette expression provient de la parole de Jésus qui suit le
passage que je viens de lire. Car après avoir refermé le livre,
et dit à l’assemblée « Cette parole de l'Écriture, que vous venez
d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit » les gens se dirent
entre eux : n’est-ce pas là le fils de Joseph ? Pour qui se prend-il
pour prétendre une chose pareille ? Et que veut-il dire, ce fils de
charpentier, et non-pas de rabbin ou de scribe, quand il prétend que
c’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit ?
Mettons-nous un instant à la
place des auditeurs de Jésus. Ces auditeurs, ce sont ses camarades
d’enfance, les amis et connaissances de ses parents, qui l’ont vu
grandir ; les membres de sa propre famille. Comment pourraient-ils
comprendre que ce gamin qui a grandi parmi eux soit tout à coup investi
d’une quelconque autorité religieuse pour déclarer avec assurance : «
Cette parole de l'Écriture, que vous venez d'entendre, c'est
aujourd'hui qu'elle s'accomplit » ?
Et nous, qu’en pensons-nous ? Comment comprendre cette affirmation de
Jésus ? Voyons-nous aujourd’hui cette parole accomplie ?
Constatons-nous que la Bonne Nouvelle est apportée aux pauvres ?
Peut-on annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles
qu'ils verront la lumière ? Qui donc a apporté aux opprimés la
libération ? Quelle est donc cette Bonne Nouvelle ?
En premier lieu, remarquons que
Jésus ne dit pas que la parole est accomplie, mais qu’aujourd’hui, elle
s’accomplit. C’est une forme progressive. Nuance importante ! On
comprend qu’à travers cette expression, la Parole est en marche, elle
est en train de s’accomplir, elle n’en finit pas de s’accomplir. Elle
ne fait pas du passé un temps révolu, où il existait des prisonniers et
des opprimés qui seraient à présent libérés, des aveugles qui désormais
verraient la lumière. Cet accomplissement continuel nous fait au
contraire prendre conscience du présent. Aujourd’hui, cette parole
s’accomplit.
Mais aujourd’hui, Jésus, qui est parole de Dieu, n’est plus
physiquement parmi nous. C’est par son Eglise, par vous, par moi, par
nous tous, que cette parole peut s’accomplir. Annonçons nous-mêmes,
aujourd’hui, dans ce temps présent, aux prisonniers la libération, aux
aveugle la vision de la lumière, à ceux qui souffrent, le soulagement,
aux pécheurs le pardon.
Comprenons bien qu’une fois de
plus, Jésus se place au niveau spirituel. Si, par ses nombreuses
guérisons que les Évangiles nous racontent, il a bel et bien guéri les
corps, c’est toujours en vue d’une guérison des cœurs, des âmes. La
guérison physique n’est que le signe de la guérison spirituelle qui
nous est proposée. Nos fragilités, qui sont bien plus larges que nos
seules maladies ou infirmités, peuvent trouver un apaisement, un
réconfort par la Parole de Dieu qui s’accomplit aujourd’hui.
Notre monde matérialiste, dans
lequel nous sommes bien obligés de vivre, et auquel nous ne pouvons
nous extraire, a bien du mal à comprendre cela. Et pourtant, combien de
témoignages pourraient l’aider à entrer dans cette compréhension ! Je
regardais l’autre jour sur KTO un reportage tourné dans des hôpitaux de
Nantes et St Nazaire. Vous l’avez peut-être vu vous aussi. Ce reportage
intitulé « comme un souffle fragile » nous fait partager la mission des
bénévoles des aumôneries des hôpitaux, et particulièrement
l’accompagnement des personnes en fin de vie ou atteints de maladies
incurables. En regardant ce reportage, on vit pleinement cette
affirmation de Jésus : « c’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit
». Les personnes malades que nous rencontrons au fil de l’émission ne
sont certes pas guéries au bout des 52 minutes. Peut-être même,
quelques-unes sont-elles déjà mortes. Mais la présence aimante,
écoutante, réconfortante des bénévoles leur a apporté, je crois pouvoir
l’affirmer, une véritable libération. Malgré la souffrance, toujours
présente, malgré l’approche inéluctable et imminente de leur mort, ces
personnes malades vivent une guérison de leurs peurs, de leurs
angoisses, de leur solitude. Car la maladie et la souffrance n’ont
jamais le dernier mot, même si les apparences montreraient le contraire.
Mais, je le disais, notre monde
matérialiste a oublié cela. C’est pourquoi il est plus que jamais
nécessaire de le rappeler. C’est dans ce but que le troisième colloque
national « fragilités interdites » se tiendra cette année à Nantes dans
quelques jours. Le nom même choisi pour cette grande rencontre annuelle
en dit long du regard de notre société sur les aspects les plus
fragiles de ce qui nous constitue humains. « Fragilités
interdites » sonne comme un cri d’alarme. Une société qui néglige, ou
qui rejette comme honteux ce qui est fragile en chacun de nous est une
société qui va mal. Une société où l’individu tout puissant, la force,
la bonne santé, le bien-être personnel deviennent des valeurs suprêmes,
a besoin de s’entendre dire à nouveau « c’est aujourd’hui que cette
parole s’accomplit : annoncez aux opprimés la libération, aux aveugles
qu’ils verront la lumière, aux plus fragiles qu’ils sont aussi aimés de
Dieu ».
St Paul nous l’a rappelé tout à l’heure dans sa fameuse
comparaison du corps et de ses membres : Chacun de nous a besoin de
tous, et tous nous avons besoin de chacun, car nous constituons
ensemble un corps, et ce corps va mal quand l’un de ses membres est
souffrant. Nous sommes le corps du Christ. C’est ce même corps dont il
est question dans la première lecture. Ce peuple de Dieu, au retour de
son exil, de cette longue déportation qui l’a dispersé, redécouvre sa
Loi et s’en trouve réunifié, célébrant dans une très grande unité,
hommes, femmes, enfants, vieillards, la liturgie de la Parole de Dieu
retrouvée. Unité dans la diversité, à l’image de chacun des membres du
corps.
On perçoit ici les limites de
l’individualisme ambiant qui voudrait faire de chacun un individu
indépendant de tous les autres. Qu’on le veuille ou non, nous sommes
tous dépendants les uns des autres. Mais cette dépendance n’est pas un
obstacle, bien au contraire ! Car c’est au cœur de cette dépendance que
peut surgir l’amour. C’est donc une bonne nouvelle ! et nous devons
l’annoncer autour de nous, car c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit :
portons la Bonne Nouvelle aux pauvres, annonçons aux prisonniers qu'ils
sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apportons aux
opprimés la libération !
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent.
Gétigné et Clisson, 27 janvier 2013
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