En ce moment, c’est la coupe du monde de rugby ! Nos françaises ont ouvert la compétition par une victoire la semaine passée.
Au rugby, qu’est-ce qui fait qu’on gagne ou qu’on perd ?
Une équipe de rugby est redoutable quand chacun de ses membres joue à sa place. Et ça rejoint l’évangile d’aujourd’hui : chacun sa place.
C’est la leçon que Jésus nous donne dans ce passage. Il observe simplement comment les invités au repas essayent de s’installer aux meilleures places, et il saisit cette occasion pour remettre chacun à sa place, c’est le cas de le dire.
Être à sa place, ce n’est pas pour respecter un principe, ni pour satisfaire à un besoin de mettre de l’ordre. D’après Jésus, être à sa place, c’est un moyen pour être heureux : « ce sera pour toi un honneur » nous dit-il ; « heureux seras-tu ! »
Au rugby, au masculin comme au féminin, la place de chaque joueur n’est pas interchangeable. Chaque joueur a une place qui est la sienne. C’est particulièrement vrai des avants, parce que la mêlée doit obligatoirement avoir une structure bien définie. Mais il n’y a pas de place privilégiée. Pas de « meilleure place ». Le pilier ne jalouse pas le talonneur, qui n’est pas jaloux du troisième-ligne aile ; le demi d’ouverture ne convoite pas la place du trois quart centre. Chacun d’eux sait qu’il est à sa place, et que c’est en gardant cette place, en jouant son propre rôle, qui est spécifique et qui n’est pas celui d’un autre, que la victoire peut se construire.
Au rugby, les places sur le terrain ne sont pas non-plus hiérarchiques. L’équipe est bâtie non-pas en plaçant les meilleurs aux meilleures places et les moins bons aux mauvaises places. Il n’y a d’ailleurs pas de mauvaises places ! Pas de rôle principal et de rôle subalterne. Au contraire, l’équipe est d’autant plus efficace que chacun occupe la place qui correspond le mieux à ses capacités, à ses talents. En plaçant ses joueurs, le coach sait ce qu’il fait. Il ne mettra pas les plus rapides en première ligne, mais plutôt aux postes de trois-quarts. Les plus vifs seront plus efficaces comme demi de mêlée ou d’ouverture. Il mettra à profit le poids des plus lourds pour peser lors des mêlées. Chaque profil convient à une place dans une équipe de rugby. Tout le monde peut donc y trouver une place, sa place, et s’en trouver heureux.
Si beaucoup de chrétiens retrouvent dans ce sport des « valeurs » qui correspondent à leur foi, ce n’est pas sans raison.
Dans la « vraie vie », c’est pareil qu’au rugby. Jésus — c’est lui le coach — nous redit que chaque personne est appelée à jouer un rôle qui lui est propre, à la place qui lui est préparée. Encore doit-il faire le minimum d’effort pour découvrir quelle est sa place. C’est ce qu’on appelle « trouver sa vocation », c’est-à-dire répondre à l’appel de Dieu, qui a préparé lui-même une place pour chacun, en vue de son plus grand épanouissement, de son plus grand bonheur. Le coach sait ce qu’il fait.
Répondre à cet appel, trouver sa vocation, ça suppose d’accepter cette place spécialement préparée pour nous, comme un don, un cadeau, et non comme un dû. Pour cela, le rugbyman de cent vingt-cinq kilos pour un mètre soixante-douze doit accepter d’être pilier et non demi de mêlée. Il doit comprendre qu’il s’épanouira davantage à cette place qu’à une autre. C’est une démarche d’humilité, qui peut parfois être difficile.
Ce que Jésus nous dit, c’est que la seule place que nous avons à rechercher, c’est la dernière, celle du serviteur. Ça me fait penser à cette religieuse française, en mission dans un pays d’Afrique, qui vivait parmi les habitants du village. Lors d’un coup d’état, elle reçoit l’ordre d’être évacuée vers la France pour sa sécurité. Sa réponse : « Dieu m’a placée ici, ce n’est pas un Président qui va me faire bouger. Si votre mari, vos frères, vos sœurs sont en danger, allez-vous les abandonner pour sauver votre peau ? » Elle avait trouvé sa place. Ou plutôt, en acceptant, en assumant la place qui lui avait été confiée, la place du serviteur, elle répondait à sa vocation, et trouvait sa joie dans l’humilité du service, à la place qui était la sienne.
Comme les invités au repas de l’évangile d’aujourd’hui, nous dépensons beaucoup d’énergie à tenter de gagner des places. Sans doute que nous avons dans nos schémas de pensée, la vision d’une hiérarchie pré-établie, des places qui seraient nobles ou enviables, et d’autres qui seraient dégradantes ou indignes. Quelle est la place du chrétien dans la société ? Quelle est la place de l’homme et celle de la femme en politique ? La place du troisième enfant dans la fratrie ? La place du prêtre dans l’Eglise ? Celle du laïc ? La place de la France dans l’Europe ? La place du salarié dans l’entreprise ? Chacun pourra allonger cette liste à l’infini…
Mais ce n’est pas ainsi que Jésus nous enseigne le sens de la vie. Ce n’est pas ainsi que Dieu nous considère. Il aime chacun de nous, quelle que soit sa place, d’un même amour. Déjà, bien des siècles avant Jésus, Ben Sira le Sage écrivait, c’était la première lecture : « Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. » Et Jésus lui-même conclut son enseignement par ces mots : « Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé. » Comme toujours, il sait de quoi il parle, lui qui s’est abaissé lui-même, tout Dieu qu’il était, jusqu’à notre condition humaine, jusqu’à la souffrance et la mort. Et Dieu l’a relevé, l’a ressuscité d’entre les morts. Le coach sait ce qu’il fait.
Une dernière image empruntée au rugby : Pour marquer l’essai, il faut abaisser le ballon jusqu’au sol, non-pas en le jetant, mais en l’accompagnant, quitte à s’abaisser soi-même, à se jeter soi-même à terre. La victoire est souvent à ce prix.
Alors, comme dans une équipe de rugby, efforçons-nous de tenir la place que Dieu a préparée pour nous. Faisons-lui confiance, le coach sait ce qu’il fait, et commençons par choisir la place la plus humble, la place du serviteur, et nous entendrons Jésus lui-même nous dire « mon ami, avance plus haut ! »
Amen !
Daniel BICHET, diacre permanent
Gétigné et Clisson
Le 31 août 2025