Dt 30, 10-14 ; Ps 18 ; Col 1, 15-20 ; Lc
10, 25-37
"Tu
aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout de ton coeur, de toute ton âme, de toute
ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même". Voici
la
loi telle qu'elle est rapportée par le Deutéronome et le Lévitique. Le
scribe,
qui est un maître en exégèse, peut donc aisément répondre à Jésus qu'il
avait
préalablement interpellé pour le mettre à l'épreuve. Mais il insiste
dans son
questionnement en demandant "qui est mon prochain ?".
A
cette demande, Jésus va répondre par cette fameuse parabole du bon
Samaritain.
Cette histoire a tellement marqué depuis des siècles que l'expression
"être le bon samaritain de quelqu’un" est devenue
une expression profane.
Tentons
donc,
en reprenant la dimension spirituelle, d'entendre ce que Jésus veut nous
dire.
Le
Christ
situe d'abord géographiquement l’événement, objet de son enseignement.
Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Autrement dit descend de la
colline
de Sion, Jérusalem, vers l'oasis luxuriante de Jéricho. Ce sont deux
mondes
différents, deux climats différents, des altitudes différentes aussi,
Jérusalem
est à environ 700
mètres d’altitude, Jéricho est à 250
mètres au dessous du niveau de la mer. Pourtant la distance n'est pas
importante, une trentaine de kilomètres, mais il faut parcourir le
chemin qui
est tourmenté et désertique et donc propice à faire de mauvaises
rencontres.
C'est ce qui va arriver à "un homme", Jésus ne nous en dit pas plus
sur sa personne et sa personnalité.
Le
pape
Benoît XVI dans son ouvrage
"Jésus de Nazareth", ouvrage qui, dit-il lui-même, est une quête
personnelle
de "la face de Dieu" ; le pape consacre un
long passage à cette parabole du bon Samaritain.
Nous
nous
mettrons donc à l'écoute de
ce
qu'il nous propose dans sa méditation.
Un
des
premiers points en débat était de savoir jusqu'où va la notion de "
prochain". La réponse en Israël était habituellement de l'entendre des
membres du même peuple. Cependant, se souvenant de l'exil en Égypte,
l'étranger
"établi" pouvait être considéré comme prochain. Mais les
"frontières internes" étaient difficiles à tracer, cependant il est
sûr qu’elles n'incluaient pas les Samaritains.
C'est
dans
ce contexte que se situe le récit. Le pape d'une façon très intéressante
explique l'attitude du prêtre et du lévite : "il n'est pas du tout
certain
qu'il s'agisse d'hommes sans coeur, peut-être avaient-ils peur eux-
mêmes et essayaient-ils
d’atteindre la ville le plus vite possible, peut-être étaient-ils
maladroits et
ignoraient-ils ce qu'ils
devaient faire
pour aider, d'autant que, de toute façon il n’y avait apparemment plus
grand-chose à faire".
Ce
n'est
pas ce que pense un Samaritain, probablement un commerçant qui prend ce
parcours souvent et doit connaître l'aubergiste. « Que va-t-il
faire ?
Il ne demande pas jusqu'où s'étendent ses devoirs de solidarité, ni
quels
mérites lui assureront la vie éternelle. Les choses se passent autrement
: il a
le coeur déchiré ... en
voyant un homme
dans cet état, le Samaritain est touché au fond de ses "entrailles",
au tréfonds de son âme... Grâce à l'éclair de miséricorde qui frappe son
âme,
c'est maintenant lui qui devient le prochain de l'autre, sans se poser
la
moindre question ni se soucier du moindre danger. Cela implique qu’il y
a
déplacement de la question : il ne s'agit plus de savoir quel autre est
ou
n'est pas mon prochain, il s'agit de moi-même. Je dois me faire le
prochain des
autres, et alors, l'autre comptera pour moi "comme moi-même".
Ainsi
"Jésus
renverse les choses. Le Samaritain, l'étranger, se fait lui-même
mon prochain et me montre que je dois apprendre par moi-même, de
l'intérieur, à
être le prochain de tous, et que la réponse se trouve déjà en moi. Il me
faut
devenir quelqu'un qui aime, une personne dont le coeur se laisse
bouleverser
par la détresse de l'autre. C'est alors que je trouverais mon prochain,
ou plus
exactement, c'est alors que je serai trouvé par lui".
Le
pape
continue : "cette parabole et d'une actualité patente. Si nous la
transposons à l'échelle de la société internationale, nous voyons que
nous
sommes concernés par les peuples d'Afrique que l'on dépouille et que
l'on
pille. Nous voyons aussi à quel point ils sont notre "prochain" :
notre mode de vie, notre histoire…... ont concouru et
concourent encore à leur pillage. Et surtout,
nous avons par là même blessé leur âme. Au lieu de leur faire don de
Dieu, du
Dieu qui, en Jésus-Christ nous est proche, au lieu d'accepter et de
parachever
tout ce que leurs propres traditions ont de précieux et de grand, nous
leur
avons apporté le cynisme d'un monde sans Dieu, où la seule chose qui
importe,
c'est le pouvoir et le profit. Nous avons détruit l'échelle des valeurs
morales
de sorte que la corruption, la volonté de pouvoir sans scrupules
finissent par
s'imposer comme des évidences. L’Afrique n'est pas un cas isolé.... Et
tout
autour de nous, ne voyons-nous pas aussi des hommes que l'on a
dépouillés et
brisés ? Les victimes de la drogue, des trafics d'êtres humains, du
tourisme sexuel, ces êtres détruits intérieurement,qui au milieu de
leurs
richesses matérielles sont totalement vides. Tout cela nous concerne et
nous
appelle à faire nôtre le regard et le coeur du prochain et aussi à avoir
le
courage d'aimer notre prochain. Car, comme il était dit, il se peut que
le
prêtre et le lévite aient passé leur chemin par crainte plus que par
indifférence. Nous devons réapprendre de l'intérieur, à prendre le
risque de la
bonté et nous ne pourrons le faire que si nous devenons nous-mêmes
intérieurement "bons", si de l'intérieur nous nous faisons le
prochain des autres et si nous cherchons alors à savoir quelle façon de
servir
nous est demandée, autour de nous et dans le cercle plus large de notre
vie,
quelle façon de servir nous est individuellement possible et, par là
même
assignée".
Les
Pères
de l'Eglise ont vu dans cette parabole une image de l'humanité (elle est
l'homme blessé), le Samaritain est alors l’image du Christ qui nous
conduit
jusqu’à l'auberge c’est–à-dire l’Eglise où le Christ nous fait soigner.
Et
le
pape de conclure : chaque homme est individuellement concerné par les
deux
personnages de la parabole... Chacun de nous doit nécessairement d'abord
être guéri
et recevoir l'offrande du don. Mais chacun d'entre nous devrait aussi se
faire
samaritain, suivre le Christ et devenir semblable à lui. Alors nous
vivrons de
manière juste. Nous aimons comme il faut si nous devenons semblables à
lui, qui
nous a tous aimés le premier".
Ainsi
soit-il.
Georges Renoux
Basilique du Sacré-Cœur de Marseille