Frères et sœurs,
Dimanche dernier,
nous avons écouté le récit de l’appel des premiers
disciples selon la version de St Jean, (à partir de laquelle Jo nous
appelait à
entrer « en conversation » avec Jésus et avec nos frères et
sœurs) ; aujourd’hui c’est la version de St Marc qui nous appelle,
non pas
à une conversation mais à « une
conversion »... Des différences sont notoires entre les deux
récits,
parce que les évangélistes n’ont pas les mêmes préoccupations que les
historiens :
pour eux ce n’est pas le fait historique brut qui importe, c’est plutôt
sa
signification, sa portée. Les évangiles ne sont pas des reportages, mais
des catéchèses. En relatant
la vocation
des premiers disciples, ils veulent montrer l’initiative de Jésus
qui appelle et la
réponse immédiate, aussi généreuse
que radicale, des apôtres (Marc écrit plus d’une fois « aussitôt »).
Marc nous rapporte que « le lieu » choisi par Jésus pour
commencer sa mission, c’est la « Galilée
des
païens » : pourquoi n’a-t’il pas choisi Jérusalem la
ville
sainte ? Après la résurrection, Jésus donnera justement rendez-vous
aux
Douze en Galilée, ce sera le point de départ de la mission des apôtres à
leur
tour. Il manifeste ainsi l’universalité
du
salut : la Galilée « carrefour des nations » ; Jésus va vers tous les hommes, il veut une Eglise même en plein
milieu païen : aujourd’hui encore le Christ nous envoie en milieu
déchristianisé, aux périphéries.
Après le lieu, Marc nous décrit le choix du « personnel ». Jésus
n’aurait certainement pas eu l’agrément des managers de nos entreprises
modernes : ils n’ont pas de CV ! De pauvres pêcheurs qui n’ont eu
d’autre
horizon que le lac de Galilée ; ils ne savent que jeter le filet,
pas
toujours avec succès, car ils ont, au moins une fois, avoué à Jésus : «
Maître, nous avons peiné toute la
nuit sans
rien prendre ». Voilà les « cadres » que Jésus se choisit comme
collaborateurs, associés, partenaires et continuateurs. Jésus ne les a
pas
soumis à des tests (ni stage ni noviciat) pour évaluer leur quotient
intellectuel, il n’exige pas une bonne intelligence. Jésus s’attache,
non les «
têtes bien faites », une élite, mais les
gens
de cœur. Ainsi, personne ne se sentira exclu, personne ne dira que
le
Christ n’appelle que les plus saints, les meilleurs, les plus
intelligents, les
mieux habillés, les mieux nés… C’est
vous
et moi, c’est tout le monde qui est appelé à le suivre, à devenir
« pêcheurs d’hommes ».
Et ces gens « quittent tout »
! Tout : leurs familles, leurs épouses, leur profession, leurs barques,
leur
patrimoine… ils ont tout quitté pour suivre Jésus… « aussitôt ». Dans la logique actuelle, ils auraient dû s’assurer que
Jésus avait mis de son côté toutes les chances de réussite et de succès
pour
son œuvre aux ambitions planétaires : une minutieuse étude de projet,
des
finances suffisantes, un personnel hautement qualifié et tout un
ensemble de
stratégies, de logistiques… Ils auraient dû « attendre pour voir » : un
peu de
temps par prudence pour savoir ce que vaut ce jeune rabbi, si on peut
parier un
kopeck sur lui, si le jeu en vaut la chandelle...
Qu’est-ce que Jésus met comme capital, comme méthodologie, comme
logistique ? Qu’est-ce qu’il fait comme discours inaugural ? Quelles
sont les lignes
de force de son programme ? La
confiance, l’amour, rien d’autre que ça ! « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. », ce sont là les
premiers mots de Jésus : les premiers disciples n’ont pas d’abord adhéré
à une
doctrine, quand ils l’ont suivi, ils n’avaient même pas encore reçu
d’enseignement. Jésus n’est pas venu donner une bonne doctrine, la foi
ne porte
pas sur des idées, mais sur sa Personne : le suivre, adhérer à lui,
s’attacher
à lui… Se convertir et croire ; se convertir, c’est croire, car
c’est le
même mouvement de la personne qui fait tellement confiance qu’elle se
tourne
vers celui qui lui fait confiance et mérite confiance… comme en tout
amour,
quand le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Se convertir, c’est quoi ? On était trop tourné vers soi-même, on
décide de se tourner désormais
vers les
autres et vers Dieu. Non pas parce qu’on a bien réfléchi, qu’on a
été
convaincu par un raisonnement, mais parce qu’on se sent attiré et qu’on
veut
s’attacher. Se convertir, c’est quitter un passé pour un avenir autre, pour
vivre et aimer autrement. Dans
tout amour, il y a un saut à faire dans l’inconnu, une rupture, une
conversion.
C’est cela qui est dit dans le terme « quitter
/tout laisser » : « aussitôt,
laissant là leurs filets, ils le
suivirent… laissant dans la barque leur père avec ses ouvriers, ils
partirent
derrière lui. » Aussitôt ! Coup de tête ou coup de cœur ?
Quelle
force extraordinaire d’attraction dégage le jeune Rabbi Jésus pour les
séduire
si fort ? Hypnose ? Non ! Jésus respecte trop notre liberté, il ne peut
pas
jouer ni manipuler la conscience des gens. L’amour oui, beaucoup
d’amour !
Il suffit donc d’avoir cette générosité qui répond oui « aussitôt », en toute
liberté, avec confiance, avec Foi (même mot).
Eh bien F&S, nous aussi nous
sommes envoyés vers les Galilée des païens d’aujourd’hui qui est
immense : depuis notre Europe déchristianisée dont nous allons
prochainement être invités à renouveler nos représentants… au plus près
de
nous : dans nos familles, nos quartiers, nos environnements
professionnels
ou associatifs. Nous sommes appelés à rejoindre ceux qui sont en
recherche, ceux
qui n’osent pas, qui ne se sentent pas accueillis, ceux qui doutent,
ceux qui
ont des idées déviantes, ceux qui sont allergiques même à la religion,
ceux qui
suivent les dieux de la bourse et les stars… En fait, nous croyons que
les gens
sont éloignés de Dieu, alors qu’ils
sont
en attente : il suffit parfois d’un mot pour les ramener à Dieu.
Peut-être que parmi nous certain(e)s se demandent pourquoi ils ne se
sentent
pas en capacité de répondre à cette attraction que Jésus a exercé sur
Pierre,
André, Jacques et Jean et les autres qui ont été vite séduits pour tout
quitter
« aussitôt » et le
suivre ?
Comment quitter le confort de nos maisons, de nos habitudes, de nos
certitudes,
pour nous mettre au service,
nous
tourner vers les autres, pour l’amour de Dieu ?
Et bien, comme nous avons pu le voir
dans la rétrospective 2023 de la vie de notre paroisse présentée lors de
la
galette partagée dimanche dernier, les exemples de mobilisations et
d’engagements vers les périphéries, vers les jeunes, vers les plus
fragiles et
les plus en attente, ne manquent pas et nous pouvons nous en
réjouir !
Pour autant, la Galilée des païens de chez nous est immense, il y a donc
bien
urgence et aucun « pêcheur
d’hommes »
ne peut être de trop.
Car on ne pêche pas des hommes comme
des poissons, et surtout pas dans le même but. Avec les hommes, on ne
cherche
pas à les prendre, à les capturer, à les avoir... au contraire, il
s’agit de les sauver !
On pêche des poissons
pour leur mort, pour les manger ; on pêchera des hommes pour leur vie ; bien plus, pour
se
donner à eux en nourriture. Il s’agit en fait de « re-pêcher », de
passer de la logique de la « prise », de l’avoir, de la
possession et
du gain, à une logique du don.
Vous
le voyez : la conversion requise est profonde et totale : nous sommes
invités à
changer radicalement notre manière de nous relier au monde et aux autres
hommes.
Vous l’avez compris, les serviteurs de
Dieu ne sont pas des héros, des hommes ou des femmes
extra-ordinaires ;
ils ne sont pas nécessairement des gens particulièrement vertueux ;
ce
sont des gens ordinaires, ce sont nos semblables. Car Dieu a besoin de chacun(e) de nous, quelles que soient nos qualités
et nos défauts, et il a besoin
que nous
soyons unis et c’est aussi le sens de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui se clôturera jeudi
prochain et pour laquelle nous sommes tous invités à demander
à
Dieu de nous aider à vivre la
communion entre Eglise chrétienne pour diffuser, croire et nous
convertir à
ce précepte de vie que Jésus nous a enseigné : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu et ton prochain comme toi-même ».
Oui, il y a toujours quelque chose à convertir dans nos vies ; il y
a beaucoup à changer dans notre monde en crise, et c’est urgent !
Souvenons-nous que même Jonas, dans sa médiocrité, a permis à la parole
de Dieu
de se répandre dans toute la ville de Ninive pour conduire à la
conversion de
tous ses habitants ; alors F&S, laissons-nous
convertir par cette parole engageante et porteuse
d’espérance :
« Dieu n’appelle pas ceux
qui sont
capables, Il rend capables celles et ceux qu’Il appelle ! »
Oui, c’est à toi qu’Il s’adresse, alors viens nous rejoindre, maintenant
« aussitôt », il y a des filets qui t’attendent !
Amen.
Patrick JAVANAUD, diacre permanent
21 janvier 2024