La Liturgie a le sens de l’actualité, et des circonstances...
En effet, alors qu’en ce dimanche d’été beaucoup de nos amis de la paroisse sont partis en pique-nique au bord de la mer ou à la montagne, et que notre boulangerie habituelle du quartier est fermée pour les congés …
La liturgie nous propose une page d’Evangile qui relate le signe des pains. Jésus a nourri une foule nombreuse qui l’avait suivi sur la montagne au bord du Lac de Tibériade, mais sans emporter son casse-croute.
Si l’Evangile avait été écrit cette année, on aurait pu dire que la foule s’est réunie pour les Jeux Olympiques à Paris…
Mais je reviens à notre texte d’aujourd’hui. C’est une des pages d’Evangile les plus connues, et aussi les plus extraordinaires.
Très connu : c’est un passage d’Evangile que nous entendons chaque année : les exégètes nous disent que c’est pratiquement le seul épisode commun aux quatre évangélistes – aujourd’hui, nous avons entendu la version de St Jean. Cela signifie que les contemporains de Jésus ont été témoins d’un évènement extraordinaire – qui a contribué à leur révéler la mission de Jésus : ce prophète serait-il le Messie attendu ? C’est donc également tout à fait central pour nous révéler QUI EST JESUS, vrai homme et vrai Dieu.
Extraordinaire, car cet épisode fameux de la vie et du message de Jésus contient deux paradoxes.
Le 1er paradoxe : Les apôtres de Jésus constatent qu’il y a très peu de pain pour nourrir la foule : 2 poissons et 5 pains, pour 5 000 personnes ! Ils soulignent la disproportion entre la toute petite quantité apportée par un jeune garçon (c’est-à-dire quelqu’un qui ne compte pas) et la grande foule qui les a suivis : « qu’est-ce que cela pour tant de monde ! », dit l’apôtre André.
Et cependant, le texte nous dit bien, que :
[Jésus] distribua [le pain] aux convives ; il leur donna aussi du poisson,
autant qu’ils en voulaient.
Ça veut dire que Jésus part du peu, du très peu que nous pouvons lui apporter, pour en faire de l’infini.
Quand ils eurent mangé à leur faim, [Jésus] dit à ses disciples :
« Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. »
Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.
Les 12 paniers remplis du surplus sont symbole de la multitude ; ils signifient qu’il y a profusion même pour ceux qui ne sont pas là aujourd’hui : on remplit 12 paniers, comme le nombre des apôtres. Ce sera donc à l’Église de poursuivre la mission des apôtres, pour porter cette profusion « à la multitude des hommes », au-delà de l’espace et du temps.
Cinq pains ont suffi pour nourrir cinq mille personnes par l’intervention de Jésus : ce miracle me fait penser au Levier d’Archimède (souvenir du collège !)
Archimède disait : « Donnez-moi un point d'appui : je soulèverai le monde ». Ce n’est pas dans l’Evangile, mais il explique (trois siècles avant notre ère) que, pour soulever un objet donné, on peut, à la limite, utiliser une force aussi petite qu'on veut, pourvu qu'on utilise un levier assez grand.
Ici, le point d’appui c’est la petite offrande des cinq pains et des deux poissons du jeune garçon ; le grand levier, c’est l’action de Jésus qui a rendu grâce à son Père, c’est-à-dire : c’est l’esprit de communion profonde entre Jésus et son Père. Le résultat, c’est la démultiplication de l’amour de Dieu, à partir d’un geste de générosité initial.
Cela nous ouvre des perspectives : le Seigneur agit dans notre vie, mais il ne part pas de rien ; il a besoin de notre apport, si modeste soit-il. Même si on se dit : « qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »
S’il n’y avait pas eu ces cinq pains, donnés comme « matière première », il n’y aurait pas eu de pain pour la foule. C’est l’effet de levier, et la contagion du partage.
Le second paradoxe, c’est que Jésus a réalisé une action prodigieuse pour nourrir une foule de cinq mille personnes, mais il ne cherche pas à en tirer gloire, il n’en fait pas un instrument de pouvoir et de domination.
Il aurait pu dire : « vous voyez bien, je suis le Fils de Dieu : suivez-moi, et je vous donnerai à manger du poisson et du pain frais tous les jours. Votez pour moi ! Je suis le roi du pain, je serai votre Roi. »
Non. Au contraire :« Jésus se retira dans la montagne, lui seul. ». Son royaume n’est pas de ce monde. Il ne veut pas recevoir la médaille d’Or de la multiplication des pains.
Ce n’est pas parce qu’il fuit les responsabilités. Mais il veut entrainer les gens plus loin, au-delà du souci de leur estomac : certes, il peut combler nos besoins de pain matériel, mais il n’est pas venu pour faire de la magie, ni pour nous retirer nos propres responsabilités.
Le signe des pains montre que Dieu comble nos désirs ici-bas. Il est attentif aux hommes, comme un père de famille pour la vie de ses enfants. Il ne nous laisse pas sur notre faim. Ce signe révèle la toute-puissance de la bienveillance du Père, même au-delà de nos aspirations et de nos attentes.
C’est cela, je crois, le vrai miracle qui est révélé par le signe des pains, et sur lequel les 4 évangélistes attirent notre attention : c’est l’incarnation de Jésus. Dieu a pris visage d’homme, il s’est fait semblable à nous, tout proche de nous. Il a vécu une vie d’homme. Il connait nos besoins, nos faims, et tous nos manques.
Et il compte sur nous pour que nous apportions au monde notre contribution personnelle, si petite soit-elle, en étant attentifs à toutes les faims qui existent aujourd’hui. Faim de pain matériel, bien sûr : de nombreux chrétiens sont engagés dans des actions de solidarité et d’entraide, locale ou internationale.
Et aussi : faim de paix, faim de dignité, faim de reconnaissance, de justice, de fraternité…
Le VRAI MIRACLE AUJOURD’HUI, c’est que Dieu continue à nous nourrir par sa Parole et par son eucharistie.
>> Le croyons-nous vraiment ?
En nous donnant tout son amour en son Fils, Dieu nous a dit finalement :
« J’ai faim et soif de votre réponse d’amour. »
Dieu s’est fait proche de nous pour que nous partagions son intimité, sa vie, et il nous tend la main : à nous de répondre à son invitation.
Ça sera peut-être finalement le grand miracle à venir : que chaque homme reconnaisse l’action de Dieu possible dans sa vie, en lui faisant confiance, et en entrant dans son projet d’amour pour l’humanité.
« Heureux les invités au repas du Seigneur »
Amen
Emmanuel MÉRIAUX
Église Saint Louis de Monfort
28 juillet 2024