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4° dimanche ordinaire.


On pourrait appeler ce quatrième dimanche du temps ordinaire « le dimanche des paradoxes » ou « le dimanche déroutant ». En effet, qu’avons-nous entendu dans les quatre lectures de ce jour ? à chaque fois, les auteurs de ces textes nous disent le contraire de ce que l’on entend habituellement, en opposant aux « valeurs » couramment admises, les propositions de bonheur que Dieu promet ; en nous rappelant que les attitudes qui nous rapprochent de Dieu sont parfois à l’opposé de celles qui nous semblent les plus communes. Déroutante, la Parole de Dieu !
Regardons ensemble ces lectures, en commençant par la première. Que nous dit le prophète Sophonie ? « cherchez l’humilité » et encore : « Israël, je ne laisserai subsister au milieu de toi qu’un peuple petit et pauvre ». Quelle ambition ! Avouons que ce n’est pas vraiment ce que chacun d’entre-nous recherche au cours de sa vie. De même, il existe peu d’organisations humaines dont l’objectif ne soit pas de devenir plus grande, plus riche, plus influente. Nous avons ensuite entendu trois versets du psaume 145, dans lesquels on entend que ceux qui bénéficient de la tendresse de Dieu sont les opprimés, à qui il fait justice ; les affamés, à qui il donne le pain ; les enchaînés, qu’il délie. Puis viennent ensuite les aveugles, les accablés, les justes, les étrangers, la veuve et l’orphelin, qui tous semblent être les préférés de Dieu. Je ne crois pas trop m’avancer en prétendant qu’aucun de ceux-là ne sont les préférés de notre monde ! St Paul n’est pas en reste, dans sa première lettre aux Corinthiens : « ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible, d’origine modeste, de méprisé, ce qui n’est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose ». Encore des oppositions, encore des paradoxes, encore des affirmations étonnantes et peut-être même choquantes, si on les prend au premier degré, sans un certain recul. Et enfin, ce fameux texte d’évangile, que certains appellent « le sermon sur la montagne », ou encore « les béatitudes », passage lu et relu tellement souvent au cours de nos assemblées liturgiques, que nous pourrions finir par nous en lasser et ne plus nous étonner de ce qu’il nous dit. Dans ce texte, comme dans les précédents, et plus encore que dans les précédents, on retrouve dans la bouche de Jésus cette fois, des oppositions fortes, des promesses décalées d’un bonheur pour ceux qui sont insignifiants aux yeux du monde : les doux, les pauvres de cœur, ceux qui pleurent ou qui ont faim et soif de justice, ceux qui font la paix, les persécutés. Paradoxes, encore.
On voit donc, en rapprochant ces textes, que de toutes les époques – le prophète Sophonie vivait au septième siècle avant Jésus-Christ – les croyants ont eu cette intuition que le Dieu qui s’est révélé à Abraham n’est pas un dieu comme les autres. C’est un dieu qui est attentif aux petits, aux pauvres, aux modestes, aux délaissés et aux méprisés. Comme le rappelle St Paul, « personne ne peut s’enorgueillir devant Dieu ». C’est aussi ce que Jésus souligne dans les Béatitudes.
Cependant, il ne faudrait pas se méprendre sur le sens des mots qu’il emploie : les pauvres de cœur, les doux, les cœurs purs…et il est vrai que les traductions que nous en avons ne rendent pas toujours entièrement le sens que l’hébreu signifie. C’est le cas, pour commencer, du mot « heureux » qui rythme ce discours. Le mot hébreu est « ashrey », qui est principalement traduit par « bienheureux » ou « heureux ». Mais ces deux mots évoquent un état – être heureux, être satisfait, on pourrait presque dire être béat – alors que le mot d’origine est un terme dynamique, de mouvement, de déplacement. André Chouraqui l’a traduit par « en marche » : en marche, vous les pauvres de cœur. D’autres comme le père Stan Rougier ajoutent « Vous êtes sur la bonne route ». Ce qui est tout différent de ce que notre mot « heureux » peut évoquer : « ça y est, vous êtes arrivés, vous êtes heureux ; c’est bon, vous avez trouvé le bonheur. »
Ces béatitudes, cette charte des chrétiens, constituent certainement le passage le plus connu des Evangiles, même chez les non-croyants. La difficulté de traduction est sans doute une des raisons qui en font aussi le plus mal compris, le plus mal interprété, et le plus récupéré par des idéologies anti-chrétiennes. Ainsi, les « pauvres de cœur » ne sont pas les « simples d’esprit », ni les pauvres économiques, mais ceux qui ouvrent leur cœur à Dieu, qui s’en remettent à lui ; « les doux » ne sont pas les mous, ceux qui se laissent abuser sans réagir, mais ceux au contraire qui, avec la force que Dieu donne, agissent contre la violence.
Autre mot que la traduction risquerait de trahir, c’est le mot « justice », qui dans la langue des contemporains de Jésus, désigne le projet de Dieu, et non la justice des hommes. La nuance est de taille ! Ceux qui ont faim et soif de justice, ce ne sont pas les justiciers, mais ceux qui sont « ajustés » au projet de Dieu, dans la vérité de ce qu’Il attend de nous. Les cœurs purs sont en vérité avec eux-même et avec Dieu. Ce qu’ils vivent est le contraire de l’hypocrisie.
Et nous qui sommes dans cette église aujourd’hui, qui sommes-nous ? comment est-ce que je m’inscris dans cette liste des bienheureux en marche vers le Royaume de Dieu ? suis-je plutôt un cœur pur ? un assoiffé de justice ? un pauvre de cœur ? un miséricordieux ? un artisan de paix ? ou encore celui qui pleure ? celui que l’on insulte, que l’on persécute à cause de ma foi ? ou bien, ne suis-je pas un peu de tout ça, selon les circonstances, selon les épreuves que je traverse ? Comment les lectures de ce « dimanche des paradoxes » vont-elles me permettre de prendre davantage conscience de cet amour que Dieu veut me donner dans ma faiblesse, ma pauvreté ? Dans laquelle de ces béatitudes est-ce que je me reconnais le mieux ? Dans laquelle de ces attitudes puis-je mettre mon orgueil, pour parler comme St Paul ? Mais surtout, dans laquelle ai-je conscience d’avoir des efforts à fournir pour recevoir la Terre Promise, pour être consolé, pour obtenir miséricorde, pour être appelé fils de Dieu, pour voir Dieu ?


Daniel BICHET, diacre permanent.

St Lumine de Clisson, Gorges, Maisdon sur Sèvre
29-30 janvier 2011   

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